Enseigner grâce au vocabulaire de base : construire des blocs pour la communication et les programmes scolaires

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Depuis l'apparition des premiers tableaux de CAA dans les années 1920, les systèmes de CAA ont permis aux personnes qui ne parlent pas d'utiliser le vocabulaire de base pour s'exprimer.

Ce vocabulaire de base, au nombre de 50 à 400, compose la majeure partie de ce que nous disons au cours d’une conversation ou bien à l’écrit. Beaucoup d’études basées sur différentes langues et différents groupes d’âge ont montré que plus ou moins 50 mots représentent 40 à 50 % de ce que l’on dit, 100 mots représentent plus ou moins 60 %, et 200 à 400 mots représentent 80 % des mots que l’on utilise tous les jour.

En donnant un rapide accès au vocabulaire de base aux apprenants de CAA, on leur fournit un puissant outil pour communiquer, quel que soit le sujet. Plutôt que de compter sur des phrases préprogrammées comme « je veux » et « je vois », ils peuvent choisir dans un relativement petit ensemble de mots pour créer leurs propres phrases, exprimer une plus grande variété d’idées, et travailler sur une grammaire plus avancée.

Une partie indispensable manquera dans ces phrases, cependant — les noms. Alors que pour les langues varient en pourcentage les pronoms, les verbes, les adjectifs, et les prépositions, une constante est à remarquer — les noms font rarement partie du vocabulaire de base. Par exemple, selon une étude en anglais (Dynamic Learning Maps™ Core Vocabulary, Center for Literacy and Disability Studies) :

Liste de la position dans le vocabulaire de base % noms
1 – 500%
51 – 1001%
101 – 2009%
201 – 30012%
301 – 40020%

Les noms sont habituellement considérés comme des mots du vocabulaire spécifique. Ce sont des mots très précis comme « girafe », « ennuyeux », et « Julia » qui serviront à exprimer des messages spécifiques. L’accès au vocabulaire spécifique est essentiel pour une communication claire et précise, mais chaque mot individuel du vocabulaire spécifique n’est pas si souvent utilisé. Alors qu’il peut être utile de pouvoir dire « vélociraptor », ce mot n’intervient pas souvent dans la conversation de tous les jours. Même des mots du vocabulaire spécifique comme « pomme » sont très personnels. Certaines personnes peuvent vouloir accéder rapidement au mot « pomme » alors que d’autres préfèrent différents fruits.

Il y a beaucoup de vocabulaires de base disponibles sur des applications ou sur des équipements destinés à la CAA. En théorie, ces vocabulaires devraient proposer à un débutant en CAA 80 % des mots dont il a besoin pour communiquer sans programmation supplémentaire. Cependant, le temps déjà limité dont disposent les orthophonistes, les éducateurs spécialisés et les parents pour encourager l’utilisation de la CAA est utilisé pour programmer et enseigner des pages de vocabulaire spécifique pour des leçons et activités. Le débutant en CAA tirerait de plus grands bénéfices s’il apprenait comment trouver et combiner les mots du vocabulaire de base afin d’exprimer ses pensées et préférences.

Pourquoi les vocabulaires de base n’est-il pas proposé ou enseigné aux débutants en CAA ? Un des obstacles principaux à l’utilisation du vocabulaire de base est la difficulté de l’enseigner. À différence des noms, la plupart des mots du vocabulaire de base ne sont pas faciles à « représenter ». Nous utilisons des symboles ou des photos pour expliquer la signification de la plupart des mots et les décrire dans un système de CAA. Mais comment enseigner et représenter « est », l’un des mots les plus utilisés en français ?

Les techniques pour apprendre le vocabulaire de base ont fait l’objet de recherches et d’exposés cliniques au cours des dernières années. Le but de cet article est de partager certaines de ces techniques et ressources avec un public élargi.

Modéliser

Les enfants habituellement apprennent le langage par l’écoute journalière lors de conversations dans la vraie vie et pendant des années, avant de développer la capacité à faire des phrases. Mais souvent, nous proposons à un enfant qui ne parle pas un système de communication, et nous attendons de lui qu’il l’utilise de façon efficace après une courte démonstration.

Tous les débutants en CAA ont besoin de savoir à quoi cela ressemble de communiquer avec leur système de CAA lors de réelles conversations. L’idée est d’utiliser le système de CAA de l’apprenant, ou un système similaire, lorsque vous conversez avec lui.

Vous n’avez pas besoin de modéliser chaque mot prononcé, tout spécialement au début. Cela serait trop accablant pour tous. À la place, modélisez à un niveau juste au-dessus du celui de l’apprenant de CAA. Ainsi si un l’utilisateur de CAA n’utilise pas encore le système pour communiquer, modélisez au niveau d’un seul mot. Par exemple, si vous quittez la classe pour aller à la cafétéria, vous pouvez dire : « il est l’heure d’aller à la cafétéria » et vous appuyez sur le bouton « Aller » sur le système de CAA lorsque vous prononcez le mot « aller ». Dès que l’apprenant CAA est au niveau d’un seul mot, vous pouvez passer au niveau supérieur — et ajoutez un mot lorsque vous modélisez. Si vous quittez la maison pour aller voir votre grand-mère, vous pouvez dire « Allons voir Grand-Mère » vous appuyez sur « Aller » et « Grand-Mère » lorsque vous prononcez ces mots. Pour avoir plus de conseils concernant la modélisation dans des situations spécifiques, lisez Van Tatenhove (2013).

Mots de la semaine

Une façon de structurer le processus d’enseignement et de modélisation du vocabulaire de base est de programmer un ensemble de mots sur lequel vous vous concentrerez chaque semaine ou chaque mois. La modélisation sera plus facile, et à partir du moment où vous continuez la modélisation des semaines précédentes, vous arriverez à enseigner un vocabulaire solide et riche de mots de base.

Un programme remarquable pour enseigner les mots de base en utilisant cette méthode a été développé par Carole Zangari, Gloria Soto, et Lori Wise. Le programme s’appelle “TELL-ME” (Teaching Early Language and Literacy through Multimodal Expression). Ce programme préscolaire de 30 semaines enseigne 3 à 6 mots de base toutes les 2 semaines. Un nouveau livre d’images est utilisé à chaque nouvelle période de 2 semaines, et les mots de la semaine sont utilisés au cours de la journée durant différentes activités :

  • Lecture journalière du livre de la semaine dans des buts différents, en insistant sur les mots de la semaine (dire les mots de la semaine en utilisant la CAA lorsqu’ils apparaissent dans l’histoire lue, créer un poster sur un personnage de l’histoire, interpréter l’histoire, choisir un personnage préféré ou une scène préférée).
  • Rédaction d’un graphique prédictible (chaque étudiant utilise son système pour compléter une phrase qui commence par des mots de base comme « Je peux », » J’aime », « Nous avons vu » ». On peut ajouter des photos aux phrases pour créer un livre que les étudiants pourront relire à l’école ou à la maison).
  • Utilisation des mots de la semaine durant d’autres activités scolaires (goûter, cuisiner, art, musique, centres de jeux créatifs)
  • Modéliser les mots de la semaine aussi souvent que possible en utilisant des grandes affiches de mots de base exposées dans la classe et sur les systèmes CAA de chaque étudiant.
  • Partager l’information sur les mots appris avec la famille et comment modéliser en utilisant le système de l’étudiant

Ces stratégies permettent l’enseignement du vocabulaire de base dans des contextes naturels. À travers une modélisation répétée des mots permettant la communication durant des activités réelles et amusantes, les étudiants apprennent le sens de mots non « représentables », et comment les utiliser pour communiquer. Pour plus de détails, lisez les publications de Carole Zangari. Des approches similaires sont décrites dans Hatch, Geist, et Erickson (2015) et Erwin, Maglinte, et Lovell (2014).

Enseignement Modèle descriptif

Ainsi vous avez modélisé les mots de base grâce aux stratégies de réelles conversations et de l’utilisation des mots de la semaine ! Vos étudiants de CAA commencent leur propre utilisation du vocabulaire de base. Mais on vous demande toujours de passer du temps d’enseignement, de thérapie ou à la maison à programmer des noms pour les cours théoriques — des noms qui vous le savez ne seront pas utilisés une seule fois par vos étudiants de CAA une fois le cours terminé. Que pouvez-vous faire pour être sûr que vos efforts portent bien sur le développement de capacités de communication utiles

L’Enseignement Modèle descriptif, développé par Gail Van Tatenhove, pourrait être la réponse. Dans ce modèle, au lieu de demander à l’étudiant de mémoriser des noms spécifiques pour répondre à des questions théoriques, l’étudiant utilise les mots de base pour décrire les concepts dans la leçon. Par exemple, au cours d’une leçon sur le cycle de la vie du papillon, l’enseignant peut interroger l’étudiant sur le stade de la chrysalide. L’enseignant peut poser une question très précise avec une seule bonne réponse, comme « quel est le nom du troisième stade de la vie du papillon ? » Pour répondre à cette question, l’étudiant doit avoir la chrysalide programmée dans son système, ou tout au moins une carte de choix « low tech » sur laquelle sont représentés les différents stades.

Si on utilise l’Enseignement Modèle descriptif, l’enseignant pourrait dire à la place, « que se passe-t-il au cours du stade de la chrysalide ? » L’étudiant pourrait utiliser les mots de base « Elle dort ». « Elle se transforme ». « Elle devient belle ». Chacune de ces phrases montre que l’étudiant comprend cette étape du cycle de la vie.

Il y a plusieurs avantages à l’Enseignement Modèle descriptif :

  • Cela entraine l’étudiant à retrouver les mots de base et à les combiner pour faire des phrases puissantes
  • Cela demande à l’étudiant de bien réfléchir et de faire preuve de créativité pour décrire un concept à l’aide de ses propres mots
  • Cela évite la programmation et l’apprentissage de la localisation de mots peu souvent utilisés

Enseigner la communication pour la vie

Finalement, la plupart des parents, des enseignants et des thérapeutes ont tous le même objectif en ce qui concerne les étudiants CAA, ils les aident à acquérir la capacité à communiquer leurs pensées de façon claire à leur interlocuteur.

Nous savons que les mots de base donneront aux étudiants de CAA l’accès à plus ou moins 80 % des mots dont ils auront besoin. Les 20 % restants sont picturaux et faciles à apprendre. Pourquoi ne pas passer la plus grande partie de notre temps à enseigner les 80 % des mots qui sont les plus fréquemment utilisés, mais difficiles à apprendre ? Pourquoi ne pas enseigner comment combiner ces mots pour faire des phrases que nous n’avions pas envisagé qu’ils voudraient dire ? Si nous faisons cela, nous ne permettons pas seulement aux étudiants CAA de nous démontrer leurs connaissances académiques - nous leur enseignons comment communiquer efficacement pour le reste de leurs vies.

The Language Stealers, Michael Brian Reed, 2010.

Cet article a été précédemment publié dans Communication Matters Journal, Vol. 29 (1), Avril 2015. Communication Matters Journal offre une perspective de la CAA multidisciplinaire, et est publié 3 fois par an au Royaume-Uni. Plus d'information

Références

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