« Rappelez-vous que tous les utilisateurs de CAA ne peuvent pas faire usage de la parole. Certains d’entre nous utilisent volontairement la parole. D’autres, involontairement. Ou encore les deux à la fois, volontairement et involontairement. Certaines personnes peuvent parler mais par intermittences. » ~ Oliver Waite
« Le but à atteindre ne devrait pas être d’acquérir la parole mais plutôt de communiquer efficacement » ~ Alyssa Hilary
« Vous devez comprendre qu’il m’arrive de pouvoir utiliser ma voix mais qu’à d’autres moments, je sois obligé d’utiliser la CAA » ~ P Matthew Stinson

Daniel peut faire usage de la parole. Il ne parle pas beaucoup, voilà tout. Lorsqu'il était enfant, il a suivi des séances d'orthophonie intensives afin d'être compris de ses interlocuteurs. Il a néanmoins toujours eu du mal à exprimer ses idées et à décrire la nature de son problème de communication. Maintenant qu'il peut utiliser la CAA, Daniel se sent mieux compris. Cependant, ses parents continuent de lui dire qu'il peut parler et l'incitent à le faire. Il aimerait beaucoup que sa famille comprenne que le fait de s'exprimer à l'aide de la CAA est une réussite et pas un échec.

Les travaux de recherche portant sur la CAA montrent que nombreuses personnes atteintes de troubles de la parole souhaitent malgré tout utiliser la CAA. Le vieillissement ou la maladie (SLA, sclérose en plaques, notamment) peuvent conduire une personne à perdre la parole. Cette perte des facultés orales peut être graduelle. Dans ce cas, il est possible d’utiliser la CAA de manière progressive et uniquement lorsqu’elle est nécessaire. D’autres personnes sont nées avec un handicap, comme une paralysie cérébrale, par exemple. Celles-ci peuvent parler avec les membres de leur famille et leurs amis proches mais préfèrent utiliser la CAA avec des personnes qu’elles ne connaissent pas, ou lorsque la parole leur demande de fournir un effort trop important. La CAA devient alors une extension de la parole et non une solution de substitution.

Les travaux de recherche ne donnent aucune information sur cette catégorie d’utilisateurs dont peuvent également faire partie les personnes souffrant d’autisme. Bon nombre de personnes autistes ont adopté la CAA et y voient un moyen de communication plus efficace que s’ils devaient le faire par la parole seule.

De nombreux témoignages penchent en faveur de l’utilisation de la CAA, jugée plus aisée que la parole. « Mon cerveau est mieux connecté à mes yeux et à mes doigts qu’il ne l’est à ma bouche. Transmettre un message précis grâce à la CAA ou par le texte me demande moins d’effort et d’énergie que s’il fallait que je parle ».

Pour ces utilisateurs de CAA, les contraintes motrices que nécessite la production du langage parlé est une lutte permanente. Ils éprouvent beaucoup de mal à trouver le mot qui convient puis à le prononcer correctement. Saoirse Tilton est avocate et souffre d’autisme. Elle décrit le problème de la manière suivante : « c’est comme si notre cerveau était déconnecté de notre corps et que notre corps n’écoutait pas ce que lui dit notre cerveau ».

Une déconnexion entre le corps et l’esprit

Pat Mirenda est une chercheuse reconnue dans le domaine de la CAA. Pour elle, la caractéristique principale de l’autisme est un trouble important de la motricité, plutôt qu’un manque de capacités sociales et comportementales. Pour la personne souffrant d’autisme, cette dyspraxie rend la programmation et l’exécution d’un mouvement particulièrement difficile. Empêcher la réalisation de mouvements involontaires l’est tout autant.

Les chercheurs à l’instar d’Anne Donnellan et d’Elizabeth Torres ont essayé de comprendre et de faire l’expérience de l’autisme en s’associant avec des personnes autistes, leurs familles et d’autres chercheurs souffrant d’autisme. Leurs travaux ont révélé des différences remarquables au niveau des mouvements réalisés par des personnes atteintes d’autisme.

Ces schémas moteurs atypiques affectent la façon dont les personnes qui souffrent d’autisme programment, contrôlent et exécutent un certain nombre de mouvements. Les mouvements que tout un chacun réalise sans peine demandent, dans le cas des personnes autistes, de fournir un effort considérable. C’est le cas de la prononciation des mots.

La production de la parole est l’un des actes moteurs humains les plus complexes. Pourtant, peu de travaux de recherche se sont intéressés aux moyens qui pourraient aider les personnes autistes à communiquer efficacement. Il est nécessaire de conduire des recherches sur les stratégies et les technologies à mettre en œuvre pour aider les personnes autistes à mieux communiquer. La CAA à base de pictogrammes peut aider les personnes souffrant de problèmes auditifs ou de coordination motrice orale, en leur permettant de capitaliser sur leurs capacités visuelles. La CAA à base de symboles, ainsi que les outils tels que la prédiction de mots, facilitent la communication en générant le langage par la mémoire de reconnaissance visuelle plutôt qu’en faisant appel à des souvenirs stockés dans la mémoire à long terme. Certaines personnes autistes souffrent d’une dyspraxie sévère qui leur impose d’avoir recours à des moyens de contournement (le regard, par exemple) pour utiliser leur système de CAA.

En l’absence de recherches disponibles sur le sujet, de nombreuses personnes souffrant d’autisme ont découvert la CAA par leurs propres moyens. Ce sont elles qui assurent la promotion de la CAA pendant les conférences, lors de l’évaluation collégiale des travaux de recherche et sur les réseaux sociaux.

Les appareils fonctionnant sous iOS rendent la CAA accessible à un nombre croissant d’individus. Au cours des interviews avec les utilisateurs de CAA, nous avons reçu des dizaines de témoignages vantant les mérites de la CAA et selon lesquels la CAA serait le meilleur moyen pour eux d’être compris par un interlocuteur. Il s’agit d’un moyen bien plus efficace que le fait de communiquer par la parole seule. Certains utilisateurs que nous avons interviewés peuvent prononcer des mots mais ils ont le sentiment que ces mots ne reflètent pas leur intention : « J’ai du mal à trouver les mots qui me permettent d’avoir une conversation avec quelqu’un. Cela me stresse et détériore mon élocution, à tel point que je suis contraint d’arrêter d’essayer de m’exprimer par la parole ».

Beaucoup d’entre eux déclarent qu’ils ne parviennent pas à trouver les mots qui leur permettent d’expliquer à quel point s’exprimer par la parole leur est difficile. « Lorsque vous n’arrivez pas à exprimer les mots que vous avez à l’esprit, vous avez du mal à expliquer aux autres que cela vous est difficile ».

Comme la plupart des gens, de nombreux utilisateurs de CAA ont du mal à exprimer des émotions intenses. « Lorsque rien ne va plus et que tout ce que vous pouvez dire est ’non, non, non, non, non’, alors on ne peut pas dire que votre parole soit fonctionnelle. La communication est efficace lorsque les mots que vous avez à l’esprit sortent de votre bouche et que ce que vous dites est directement compréhensible par un être humain. Beaucoup de personnes autistes ne peuvent pas s’exprimer correctement à l’oral lorsqu’elles sont sous pression ».

La CAA peut aider à gérer le stress intense. « Je préfère avoir recours à Proloquo2Go pendant les moments où je me sens submergé par l’émotion, même si les images ne sont pas très importantes dans mon cas. Cela m’aide simplement à localiser le mot et m’évite d’avoir à y réfléchir ».

La CAA peut être une aide essentielle en cas de crise

Certains utilisateurs de CAA déclarent qu’en cas de crise extrême, qui nécessite un séjour en hôpital psychiatrique, la CAA peut aider le personnel soignant à comprendre ce qui se passe. « Je ne pouvais absolument pas parler, j’ai donc utilisé la CAA. A l’hôpital psychiatrique, je me sens en détresse profonde et je subis un énorme stress. Mais cette fois-ci, j’ai réussi à me calmer car j’étais capable de mieux expliquer au personnel soignant ce que je ressentais et ce qui a provoqué mon état.

J’ai réussi à communiquer avec le psychiatre et à mieux m’exprimer.

Je n’y étais jamais parvenu auparavant. D’ailleurs, si j’avais essayé de m’exprimer, il y aurait eu un gros décalage entre ce que j’aurais dit et ce que j’aurais voulu dire ».

« Ces crises sont des moments très intenses que je dois traverser assez régulièrement car je souffre d’une maladie mentale chronique. Maintenant que je dispose d’un moyen qui me permet d’expliquer aux professionnels hospitaliers ce qui m’arrive, j’ai un peu moins peur ».

La CAA peut aider à contrôler la parole

D’après plusieurs témoignages, il est souvent aussi difficile de s’empêcher de dire ce que l’on ne veut pas dire que de dire ce que l’on souhaite vraiment dire. « Il peut arriver que je sois pris de panique et que je parle beaucoup, d’un seul coup (ce qui devient vite très fatiguant et qui renforce mon état de stress). Le pire, c’est qu’aucun de ces mots n’est véritablement utile. C’est comme si je tournais autour du pot et que les mots précis ne voulaient pas sortir. La parole est fonctionnelle à 100% puisque, d’un point de vue strictement mécanique, je peux prononcer les mots, mais la qualité de la communication est très faible ».

Cela s’apparente une sorte d’engrenage puisque le fait de vouloir dire quelque chose d’important complique la communication. « Lorsque je suis en détresse, je ne le montre pas toujours. Je ne l’exprime pas toujours non plus, car je ne parviens pas à le faire à tous les coups. Les mots me viennent à l’esprit mais ne sortent pas de ma bouche. Je me trouve alors dans une situation très compliquée dont je n’arrive pas à me dépêtrer. Alors, je craque ou je fais semblant afin d’y trouver une issue. Il peut m’arriver de m’excuser ou de dire « ça va, il n’y a pas de problème » ou simplement « désolé » car, sur le moment, je suis incapable de prononcer les mots qui traduisent mon état d’anxiété. »

La CAA peut être plus fonctionnelle

Tous ces utilisateurs de CAA ont le sentiment que la parole n’est pas toujours « fonctionnelle ». « Je m’exprime de manière fluide, mais cela ne signifie pas que je sois capable de vous dire ce que j’ai à vous dire ! ». Ces personnes souffrent d’une forme de déconnexion entre ce qu’elles souhaitent exprimer et ce qu’elles disent réellement. « La parole n’est pas fonctionnelle, sauf si celle-ci correspond aux mots que vous avez en tête ».

De nombreuses personnes se sentent sous-estimées si on les juge à partir de ce qu’elles parviennent à dire et non sur la base de ce qu’elles souhaitent communiquer. « Je ne parviens pas à m’exprimer correctement par la parole sans la CAA dans le sens où je ne parviens pas à répondre à mes besoins (par exemple demander de l’aide, expliquer ce qui ne va pas ou ce dont j’ai besoin). Je suis aussi incapable de démontrer mes capacités intellectuelles ».

Préférer la communication à la parole

Bon nombre de ces utilisateurs de CAA semblent frustrés de constater que les membres de leur famille se satisfassent de capacités langagières limitées. « La parole est la seule possibilité et elle doit être parfaite ».

Les familles, les éducateurs, et les thérapeutes doivent faire un choix : « Préfèrent-ils une communication orale médiocre à une communication de bonne qualité ? Ce n’est pas parce qu’une personne est capable de communiquer par la parole qu’elle peut nécessairement communiquer de manière efficace (ce qui serait pourtant le cas si elle utilisait la CAA) ».

Utiliser la CAA, c’est communiquer

Les utilisateurs de CAA apprécient la manière dont la CAA leur permet de communiquer avec les autres. « Grâce à la CAA, je suis capable de mieux communiquer et sans stress. Je n’ai ainsi plus besoin de chercher, à la fois, mes mots et d’essayer de les mettre dans le bon ordre pour dire ce que j’ai à dire ».

Selon plusieurs utilisateurs de CAA, le but n’est pas de parler, mais plutôt la compréhension. « La parole ne constitue pas une forme supérieure de communication. Ce qui importe vraiment c’est que vous parveniez à me comprendre même si la manière de le dire n’est pas très académique. Les personnes qui parviennent à parler tout le temps ou de temps en temps semblent préférer la CAA à la parole seule. Il n’y a aucun problème à passer d’un mode de communication à l’autre ».

La personne qui exprime une idée est la mieux placée pour savoir si elle se fait bien comprendre. « S’exprimer par la parole ne devrait pas être le but ultime. L’objectif devrait être de pouvoir communiquer efficacement. La seule personne qui peut savoir si le message a bien été communiqué, c’est l’émetteur du message lui-même ».

Toute personne qui éprouve des difficultés à communiquer devrait utiliser la CAA

Les utilisateurs de CAA autistes que nous avons interrogés supplient les professionnels d’orienter les personnes qu’elles suivent vers la CAA. « Oubliez vos préjugés quant aux personnes qui devraient utiliser la CAA ! Partez du principe qu’elle pourrait être utile à tout le monde. Cela en vaut la peine, quelles que soient les capacités orales de l’utilisateur. Si vous suivez un enfant ou un adulte dans le cadre de séances d’orthophonie, vous devriez lui expliquer qu’il existe de nombreux autres moyens de communication que la parole. Ils ont le droit de les explorer s’ils préfèrent ne pas résoudre leurs problèmes d’élocution. Le patient doit pouvoir faire ses propres choix. Il vous appartient de lui exposer les différentes possibilités et de l’informer autant que possible pour qu’il puisse choisir en toute conscience ».

Résumé

Les personnes concernées choisissent d’utiliser la CAA si elle leur permet d’améliorer la façon dont elles communiquent. Aidez un plus grand nombre de personnes à découvrir les outils de communication qui peuvent leur permettre d’être mieux comprises.

Références

  • Mirenda, P. (2008) A back door approach to autism. Augmentative & Alternative Communication. 24(3), 220-234.
  • Torres & Donnellan (2015). Autism: the movement perspective. Frontiers in Integrative Neuroscience, 13-38, 59-82.