Daniel s’exprime difficilement par la parole. Avant d’utiliser la CAA, il communiquait par l’intermédiaire de notes écrites. Lorsqu’il a eu un téléphone portable, il a commencé à envoyer des textos, le plus souvent aux personnes qui se trouvaient dans la même pièce que lui. Maintenant qu’il utilise la CAA, il a le sentiment que ses messages sont compris plus facilement et par plus de personnes. Il peut aussi montrer ses messages à ses interlocuteurs sur un grand écran. Pour lui, la CAA est une sorte de messagerie instantanée sauf qu’il se trouve dans la même pièce que son interlocuteur. Il aime plaisanter en disant que sa collection de t-shirts est une forme de CAA car les messages et les images lui permettent de dire à tout le monde ce qui est important pour lui.

L’American Speech-Language Hearing Association (ASHA) donne une définition très large de la CAA : « La CAA inclut tous les moyens dont nous disposons pour partager nos idées et nos sentiments sans avoir recours à la parole ». Grâce à cette définition, tout le monde est un utilisateur de CAA, à part quelques personnes qui communiquent par la parole.

Les utilisateurs de CAA sont considérablement désavantagés, particulièrement dans un monde où la communication orale prédomine. Les personnes qui ne peuvent pas faire l’usage de la parole ont besoin d’aide et de dispositions particulières pour leur permettre de communiquer. Pour cela, il faut les encourager à communiquer par tous les moyens possibles ; l’important, in fine, c’est qu’ils puissent se faire comprendre de leurs interlocuteurs.

Des communicateurs multimodaux

Gestes, vocalises, expressions faciales, langage des signes, tableaux, photos, réseaux sociaux, systèmes de CAA (y compris les systèmes de synthèse vocale et les cahiers de communication high-tech et light-tech), langage écrit à la main ou dactylographié : il existe de nombreux modes de communication. Toute personne utilisant plus d’un de ces moyens de communication est un communicateur multimodal.

Chacun d’entre nous peut décider quel mode de communication est le plus approprié à chaque situation. Nous pouvons hocher de la tête ou produire des sons en signe de compassion lorsque l’on écoute quelqu’un se plaindre. Nous faisons un geste en direction du plat pour qu’un ami nous le passe. Nous répondons à un message en envoyant un autre message. Nous pouvons décider qu’une réponse plus longue est nécessaire, alors nous passons un appel téléphonique ou que nous envoyons un e-mail. Il peut même nous arriver d’envoyer un texto aux membres de notre famille alors que nous habitons dans la même maison. Nous postons la photo d’un bébé sur les réseaux sociaux accompagnée d’une légende mais nous écrivons un long e-mail pour raconter une histoire à nos grands-parents.

Pour la plupart d’entre nous qui pouvons utiliser la parole, parler est le mode de communication qui nous demande le moins d’effort. Nous devrions prendre en considération les difficultés que présente le recours à toutes ces formes de communication.

Des conversations en face à face

Chaque utilisateur de CAA a connu des expériences différentes lors de conversations en face à face. La communication en face à face est rapide, par nature. Les conversations sont souvent brèves. Chacun est censé interpréter instantanément le discours de son interlocuteur, ses gestes et ses expressions faciales et réagir en une fraction de seconde. Le rythme particulièrement élevé de ce type d’interactions constitue souvent un obstacle pour les personnes qui ne peuvent pas faire usage de la parole car les moyens de communication dont elles disposent demandent un temps plus long. De nombreux utilisateurs de CAA déclarent que ce problème de timing conduit à ce qu’ils soient moins considérés et respectés.

Cependant, certains utilisateurs préfèrent interagir en face à face avec leurs interlocuteurs.

« Les face à face sont souvent préférables parce qu’ils permettent de capter les humeurs et les expressions faciales de son interlocuteur. Ce qui n’est pas possible lorsque l’on communique par texto ou en ligne ». ~ Lisa Lehmann, utilisatrice de CAA.

Fait intéressant, de nombreux utilisateurs déclarent que les conversations en face à face avec d’autres utilisateurs de CAA sont plus équitables et plus intéressantes que les conversations qu’ils ont avec des personnes qui peuvent parler sans difficultés. Cela laisse penser que le rythme élevé du langage parlé constitue la barrière la plus importante.

Les conversations en face à face demandent aux interlocuteurs d’être présents au même endroit, là où le bruit de fond et les autres perturbations de la vie courante augmentent la difficulté pour l’utilisateur de CAA. En conséquence, de nombreux utilisateurs éprouvent de sérieuses difficultés à communiquer en face à face sans l’aide d’un partenaire de communication efficace.

D’après les travaux de recherche, les orthophonistes (et la plupart des personnes qui peuvent faire usage de la parole) préfèrent la communication orale et encouragent les utilisateurs de CAA à recourir au moyen de communication qui leur est le plus favorable. Intégrer les personnes qui souffrent de difficultés de communication est un véritable apprentissage et nécessite de la part des personnes qui peuvent faire usage de la parole, de choisir la stratégie qui convient le mieux à l’utilisateur de CAA.

Les autres formes de communication

Prenons en considération les difficultés que présentent les autres formes de communication. Nous pouvons alors réfléchir à la manière dont chaque moyen de communication peut être utilisé équitablement et efficacement par un utilisateur.

Les expressions faciales

De nombreux utilisateurs sont très habiles lorsqu’il s’agit d’avoir recours à des expressions faciales lorsqu’ils prennent part à une conversation. D’autres ne contrôlent pas facilement leurs expressions faciales ou font des mouvements involontaires qui peuvent être mal interprétés. Lorsqu’on utilise la CAA, les expressions faciales doivent être synchronisées avec un message qui a été composé quelques minutes auparavant au lieu d’être simultané et spontané. Certains utilisateurs de CAA déclarent que l’interprétation des expressions faciales d’un interlocuteur ralentit leur capacité à décoder le langage parlé. Les textes sont pour eux un moyen de communication plus facile d’accès que la parole.

Le langage des signes et les gestes

De nombreux gestes sont pratiques et familiers pour un bon nombre personnes. C’est particulièrement le cas lorsque l’on souhaite communiquer des éléments concrets à un interlocuteur qui se trouve dans la même pièce (comme par exemple, faire un geste à quelqu’un pour qu’il vous donne un objet). Cependant, les gestes les plus simples peuvent être difficiles à interpréter s’ils traduisent une notion abstraite. Le langage des signes résout le problème. Une idée formulée par des gestes peut être véhiculée d’une manière plus rapide et plus efficace que par la parole. Cependant, l’utilisation du langage des signes comporte des limites : il ne peut être compris que par un interlocuteur qui l’a appris. Certains utilisateurs de CAA souffrent de difficultés motrices qui limitent leur capacité à produire les signes.

« Les possibilités en matière de mode de communication sont très larges. Je n’utilise pas uniquement mon système pour communiquer, du moins avec ma famille : Il arrive que je fasse des vocalises (souvent dans le cas de questions auxquelles je peux répondre par oui ou par non), que je pointe du doigt, ou que tendent le pouce vers haut ou vers le bas. En cas de choix multiples, je peux aussi montrer un certain nombre de doigts pour désigner l’option qui a ma préférence. C’est très pratique lorsque je sors pour marcher un peu sans avoir la possibilité d’utiliser mon téléphone ou mon iPad ».
~ Derek Burrow, utilisateur de CAA

Le téléphone

Parler au téléphone est souvent plus difficile pour l’utilisateur de CAA qu’en face à face. Les appels téléphoniques sont courts et rapides. Le langage des signes, les expressions faciales et les gestes ne sont pas visibles. Beaucoup d’utilisateurs de CAA nous font part de leur frustration en ce qui concerne l’intégration de leur technologie fonctionnelle à leur téléphone. Les personnes qui ne sont pas habituées pensent qu’il s’agit d’un canular et raccrochent lorsqu’ils entendent une voix de synthèse.

Les appels vidéo

FaceTime, Skype et les autres formes de conversations par vidéo sont très prisées par les personnes pouvant parler. Les utilisateurs de CAA déclarent également apprécier les conversations vidéo, particulièrement avec d’autres utilisateurs de CAA. Beaucoup d’entre eux suggèrent que leur système de CAA soit compatible avec plus de plateformes d’appels vidéo qu’un téléphone traditionnel. Par ailleurs, contrairement au téléphone, le langage des signes peut être utilisé sur une vidéo. Les appels vidéo ne permettent cependant pas plus que le téléphone de contourner les difficultés d’interprétation lorsque le rythme de la conversation est élevé.

L’écriture à main levée

L’écriture est une méthode de secours efficace pour bon nombre d’utilisateurs de CAA. Écrire une note au lieu de parler est souvent bien pratique. Les outils d’écriture peuvent être utilisés par tous dans la plupart des situations. Cependant, l’adulte moyen ne peut écrire qu’à la vitesse de 15 mots par minute. Certains utilisateurs de CAA sont limités par des difficultés motrices. L’écriture souffre cependant des mêmes limitations que les autres formes de CAA lorsqu’elles sont utilisées pendant la conversation en face à face. Cela limite également la communication entre un utilisateur de CAA et une personne pouvant parler lorsqu’elles se trouvent dans la même pièce.

Écrire ou taper du texte

Écrire et taper du texte en discutant avec une personne qui n’a pas de difficultés à parler peut se révéler éprouvant pour l’utilisateur de CAA. Cependant, écrire et taper du texte se révèlent être des méthodes efficaces pour les parties prenantes, qu’il s’agisse d’écrire une lettre, un message sur une plateforme de messagerie instantanée ou d’envoyer un e-mail. Certains utilisateurs de CAA déclarent qu’écrire ou taper un message est plus facile pendant une conversation lorsque les deux parties utilisent le même vecteur de communication (lorsque les deux interlocuteurs s’envoient des textos, par exemple). Comme le dit l’un des utilisateurs, « cela ralentit le rythme de la discussion et place les interlocuteurs sur un pied d’égalité ». De nombreux utilisateurs de CAA pensent qu’écrire ou utiliser les plateformes de communication numériques leur évite d’être jugés sur leur apparence physique ou sur la vitesse avec laquelle ils sont capables de composer un message.

« La communication textuelle 1) élimine la nécessité d’interpréter et d’afficher des indices non verbaux, 2) permet d’être isolé de toute forme de stimulus auditif et de bruit de fond qui peuvent complexifier voire empêcher la compréhension des mots, 3) peut me permettre d’être connecté à un réseau plus vaste composé de personnes souffrant également d’autisme, 4) leurs messages arrivent aussi de manière visuelle sans que j’aie besoin d’y répondre immédiatement. Ainsi, j’ai d’avantage de temps pour interpréter le message et formuler mes idées que dans le cadre d’une conversation réelle ».
~ Endever* Corbin, utilisateur de CAA

L’e-mail

De nombreux utilisateurs de CAA utilisent l’e-mail comme moyen de communication. Il est fréquent que les gens prennent plusieurs heures, voire plusieurs jours pour répondre à un e-mail. Cela donne la possibilité aux utilisateurs de CAA de prendre leur temps pour formuler leur message et de le relire à volonté avant de l’envoyer. Les utilisateurs ont fréquemment le sentiment d’être mieux compris lorsqu’ils ont le temps de construire leurs messages, de les relire et d’y apporter des corrections. Cela leur permet aussi de s’assurer que le message qu’ils ont rédigé reflète bien leur intention. Les conversations par e-mail sont bien moins rapides qu’en face à face, ce qui enlève de la pression et permet de répondre sereinement à un message.

La messagerie instantanée

La messagerie instantanée est un moyen de communication plus rapide que l’e-mail, tout en étant plus lent que les discussions en face à face. Les interlocuteurs tapent leur réponse, ce qui permet de les mettre sur un pied d’égalité. La messagerie instantanée est tolérante en ce qui concerne les fautes de frappe, les fautes d’orthographe, et les erreurs grammaticales ce qui en fait un moyen de communication apprécié des utilisateurs de CAA car ceux-ci ont des difficultés à taper sur un clavier avec précision. Certains d’entre eux sont également en cours d’apprentissage de l’orthographe. La plupart des plateformes permettent d’utiliser facilement les émoticônes. Il s’agit là d’un moyen efficace et amusant pour exprimer ses émotions.

« Les réseaux sociaux, les textos et les tweets figurent dans la plupart des systèmes de CAA à dimension sociale ». ~ Saoirse Tilton, utilisateur de CAA

Les réseaux sociaux

Une utilisatrice de CAA nous a raconté que son système de CAA préféré était Facebook. Sur Facebook, elle peut communiquer efficacement avec un grand nombre d’interlocuteurs. Les contraintes liées au temps n’existent pas. Les réseaux sociaux sont d’une efficacité remarquable : un message peut être partagé entre des dizaines d’interlocuteurs. Par ailleurs, ces plateformes donnent la possibilité de répondre à un message par un clic (en « likant » un message) ou en envoyant une émoticône. Il est également possible de publier des photos dans un message ou encore de créer et de partager des memes. Son profil Facebook lui donne l’opportunité de se fabriquer une « image publique ». Elle peut y faire preuve d’humour et exprimer sa personnalité en publiant des messages vidéo GIF.

Un autre utilisateur de CAA nous a dit qu’il appréciait particulièrement la concision des messages sur Twitter. Ainsi, il devient possible de constituer des bouts de phrases ou des textes visuels, ce qui est plus simple que d’interpréter des messages verbaux décousus.

Une utilisatrice a déclaré qu’avant de perdre l’usage de la parole, elle évitait autant que possible les réseaux sociaux car elle trouvait que les gens n’arrivaient pas à se comprendre mutuellement par l’intermédiaire de textes écrits. Depuis qu’elle utilise la CAA, elle a changé d’avis. Elle considère aujourd’hui que ce mode de communication lui est plus accessible que les conversations en face à face. Cette forme de communication lui est devenue essentielle, dit-elle. Elle apprécie particulièrement la créativité que lui donne l’usage des émoticônes.

Les blogs

Les utilisateurs de CAA sont menacés par l’isolement social. Les gens qui ont perdu l’usage de la parole en raison d’une maladie ou d’une blessure peuvent lutter pour communiquer avec leur proches et les amis et leur faire part de leurs progrès ou de leurs difficultés. Pour l’utilisateur de CAA, blogguer permet de bénéficier de bon nombre des avantages offerts par les réseaux sociaux. C’est un moyen de communication efficace : un seul message peut permettre d’informer les collègues, la famille et les amis. Les blogs sont moins interactifs par nature. Il s’agit davantage d’un monologue que d’une conversation. Cependant, cela peut permettre à l’utilisateur de CAA de se trouver au même niveau que son interlocuteur, de fixer le sujet d’une conversation et de se livrer totalement. Blogguer est aussi particulièrement utile aux utilisateurs de CAA qui ont besoin d’aide pour formuler leurs messages ou qui souhaitent partager la rédaction d’un article avec une personne de confiance. Les articles de blog sont moins éphémères que les publications faites sur les réseaux sociaux, ce qui permet aussi de prendre conscience de l’activité d’un utilisateur de CAA. Ils permettent de prolonger les conversations sur une période plus longue que la plupart des autres formes de communication. Les blogs permettent d’améliorer la communication avec les gens qui ne se connectent pas au quotidien à leur comptes sur les réseaux sociaux.

Les tableaux

Un tableau peut se révéler aussi simple à utiliser qu’une feuille de papier sur laquelle sont imprimés les lettres de l’alphabet. Le tableau présente l’avantage de permettre à l’utilisateur de composer n’importe quel mot à partir des 26 lettres de l’alphabet. L’inconvénient c’est que les deux interlocuteurs doivent être alphabétisés. De plus, l’utilisateur de CAA comme son partenaire de communication doit avoir une mémoire opérationnelle suffisamment développée pour transformer les lettres en messages.

Les cahiers de communication

Les cahiers de communication au format papier sont robustes et se révèlent être des systèmes de communication complets. Ils ne peuvent pas être modifiés et permettent d’être utilisés aussi bien à l’extérieur que dans des endroits très éclairés, là où les appareils électroniques montrent leurs limites en termes de visibilité. Les cahiers de communication au format papier n’offrent pas la possibilité d’en prononcer le contenu. Ils exigent de la part du partenaire de communication une attention particulière afin de visualiser les mots ou les symboles que l’utilisateur de CAA lui montre. Les travaux de recherche montrent que les dispositifs de communication light-tech sont moins efficaces dans certaines situations, comme par exemple lors d’une visite chez le médecin ou à l’hôpital). Le temps nécessaire à la formulation des messages pose problème. Cependant, de nombreux utilisateurs de CAA préfèrent utiliser un système light-tech car celui-ci leur permet d’obtenir plus facilement l’attention de leur interlocuteur.

Dispositif de génération de synthèse vocale

Généralement, lorsque l’on pense à la CAA, ce sont les dispositifs de synthèse vocale qui nous viennent en premier à l’esprit. A l’ère du tout électronique, ces systèmes prennent souvent la forme d’un iPad équipé d’une application qui permet de prononcer un message à haute voix après que l’utilisateur a sélectionné une icône, un mot ou une lettre. Les dispositifs de synthèse vocale permettent aux personnes qui ne peuvent pas faire usage de la parole de prendre part à une conversation. Cela profite particulièrement aux personnes qui apprécient les conversations en face à face. Les dispositifs de synthèse vocalee sont généralement plus lents que la parole naturelle. Ils ne sont pas toujours la méthode de communication la plus efficace pour un utilisateur de CAA. En association avec d’autres formes de communication communément adoptées par les gens, ces systèmes ouvrent cependant de nombreuses possibilités et permettent à l’utilisateur d’être entendu.

Pour résumer

Nous sommes tous des communicateurs multimodaux. Pour l’utilisateur de CAA, le choix d’un mode de communication par rapport à un autre, est très personnel. De la même manière que pour les personnes qui peuvent s’exprimer par la parole, il est possible d’identifier des stratégies de communication qui permettent de placer l’utilisateur de CAA et leurs interlocuteurs sur un pied d’égalité.

Liens et références

  • Light, J. (1988). Interaction involving individuals using augmentative and alternative communication systems: state of the art and future directions. Augmentative & Alternative Communication, 4(2), 66-82.
  • Light & McNaughton (2012). The changing face of augmentative and alternative communication: past, present, & future challenges. Augmentative & Alternative Communication, 28(4), 197-204.